Moins d’immigrants, moins de croissance économique au Québec? - Par Gérald Fillion
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Le Québec est peut-être déjà entré en récession ou s’y retrouvera bientôt, selon les dernières projections économiques. La croissance est plus faible au Québec qu’ailleurs au pays, et sa politique sur l’immigration y est peut-être pour quelque chose.
D’abord, avant de parler de démographie et d’immigration, jetons un regard sur l’évolution du PIB au Québec. D’avant la pandémie à aujourd’hui, ou de 2019 à 2022, le PIB du Québec est passé de 379 à 391 milliards de dollars, une hausse de 3,2 %. Pendant ce temps, le PIB de l’Ontario a crû de 3,6 % et celui de la Colombie-Britannique, de 6,6 %.
Par ailleurs, dans une mise à jour de ses prévisions, Desjardins indiquait mercredi que l’économie du Québec manque de vigueur depuis le début de 2023. Le PIB réel est demeuré stable en janvier, l’emploi a connu une alternance de gains et de pertes au cours des quatre derniers mois et les autres indicateurs ont été plutôt mixtes.
Au même moment, écrit Desjardins, l’économie canadienne continue de surprendre. L’année 2023 semble bien lancée, la croissance du PIB réel a probablement atteint près de 3 % sur une base annualisée au premier trimestre, grâce notamment à la vigueur des ventes d’automobiles et des échanges commerciaux. Le deuxième trimestre de l’année sera toutefois plus difficile pour l’économie canadienne.
La croissance du PIB s’est établie à 3,4 % en 2022 dans l’ensemble du Canada, contre 2,8 % pour le Québec. Les économistes de Desjardins projettent une hausse du PIB de 1,1 % cette année au pays et de 0,7 % l’an prochain, alors qu’au Québec, la croissance ne sera que de 0,4 % en 2023 et de 0,6 % en 2024. Si le mot récession n’apparaît pas sur l’écran radar, l’économie est clairement en ralentissement.
Les investissements des entreprises vont baisser de 1,3 % cette année au pays, selon Desjardins, avant de remonter de 1,1 % en 2024. Au Québec, la baisse sera 5 fois plus importante, avec une baisse de 6,2 % en 2023, et une autre de 1 % l’an prochain.
Moins d’immigrants, moins de croissance?
Sans être les seules raisons, la faible croissance démographique et l’accueil limité d’immigrants ont peut-être un lien avec l’économie quasi anémique du Québec. En entrevue à Zone économie mercredi, l’économiste en chef de Desjardins Jimmy Jean affirmait qu’au Québec on a moins l’apport démographique qui est venu beaucoup bonifier la croissance l’année dernière [ailleurs au pays]. C’est venu soulager les pénuries de main-d'œuvre en Ontario, en Alberta, en Colombie-Britannique.
Il indiquait que l’ajout de nouveaux citoyens dans la population totale, c’est plus de gens qui dépensent en biens et en services. Et ici, au Québec, on a eu moins de cet apport démographique là. Donc, il y a ça qui joue aussi dans la balance.
C’est au Québec d’ailleurs que le taux de postes vacants est le plus élevé au pays, un taux de 4,8 %, alors que la moyenne est de 4,2 % dans l’ensemble du Canada, et de 3,8 % en Ontario.
Or, quand vous parlez à des entrepreneurs et à des dirigeants d’entreprises, ils réclament sans hésiter une hausse des seuils d’immigration.
« On a 60 immigrants qui ont joint nos rangs dans la première partie de l’année. C’est une main-d'œuvre très travaillante, très facile à intégrer, qui nous a grandement aidés à combler ce manque-là [...] Pour développer l’économie, il faut utiliser l’immigration parce que nous sommes en déficit de main-d'œuvre. » (Une citation de Mario Plourde, PDG de Cascades.)
Même son de cloche à la Banque Nationale, à propos de l’apport de l’immigration. C’est clair que c’est un facteur de croissance, a déclaré Laurent Ferreira, à Zone économie, le 11 mai. La croissance économique va venir de la croissance de la population et de l’innovation. Ça prend les deux en même temps. Pour le Québec, plus spécifiquement, je pense que nous avons un enjeu démographique qui est plus prononcé que dans le reste du Canada.
Pour deux ou trois personnes qui quittent le marché du travail, expliquait le grand patron de l’institution financière, il n’y a qu’une seule personne pour prendre la place. Cet enjeu démographique, on peut le régler par l’immigration. Et si on ne le fait pas, je pense que ça pourrait être un enjeu de compétitivité pour le Québec à plus long terme.
Les autres provinces misent sur l’immigration
Le Canada a reçu, en 2022, un total de 437 180 immigrants. De ce nombre, 68 687 sont allés au Québec, soit 15,7 % du total canadien, alors que les Québécois représentent 22,2 % de l’ensemble de la population du Canada. Le taux d’accueil au Québec sera encore plus bas dans l’avenir, puisque la province vise un seuil de 50 000 à 55 000, alors que le Canada atteindra bientôt la barre des 500 000 immigrants par année.
L’Ontario a accueilli 184 771 immigrants l’an dernier, soit 42,3 % du total canadien, alors que la province représente 38,9 % de la démographie du pays. La Colombie-Britannique a reçu 61 213 immigrants en 2022, soit 14 % du grand total canadien, en ligne avec son poids démographique au pays, qui est de 13,6 %.
Le Québec dit ne pas pouvoir en faire davantage, affirmant qu’il faut respecter sa capacité d’intégration, ce qui correspond, selon François Legault, à environ 50 000 immigrants par année. L’ex-ministre des Finances Carlos Leitao se dit en total désaccord avec cette analyse du premier ministre. J’aimerais bien savoir d’où sort ce chiffre. Il sort d’un chapeau! On s’est donné au Québec un système qui est très bon, qui est celui, annuellement, de mener une commission parlementaire pour discuter de ces enjeux-là.
Il ajoute : il faut commencer la discussion sans idées préconçues. Peut-être que c’est 50 000, peut-être que ce sera 60 000, je ne sais pas. Mais, donnons la chance à la commission d’étudier la question. [...] Nous sommes en pleine pénurie de main-d'œuvre. Peut-être que cette année, l’année prochaine, pour deux, trois ou quatre années, ça devrait être plus que 50 000. Regardons ça de façon constructive, avec ouverture d’esprit.
Plus d’immigrants, mais pas plus de richesse
L’enjeu de la pénurie de main-d'œuvre n’est pas sur le point de s’évaporer. De 2016 à 2021, il s’est ajouté 1,4 million de personnes dans la tranche d’âge des 55 ans et plus. Et 21,8 % de la population est âgée de 55 à 64 ans. C’est un nombre important de personnes qui vont bientôt prendre leur retraite.
Une grande partie de ces travailleurs sont remplacés par des immigrants qui arrivent au pays. Ces nouveaux arrivants font monter le niveau de richesse, puisque 62 % des immigrants récents, selon les données de 2021, touchent une rémunération équivalente ou qui dépasse le revenu moyen.
Cela dit, il n’y a pas vraiment de preuve qui démontre que c’est nécessaire d’avoir autant d’immigrants, selon Gilles Grenier, professeur au Département de sciences économiques de l’Université d’Ottawa.
« L’argument qu’on donne souvent, celui de la pénurie de main-d'œuvre, ne fonctionne pas totalement. Il y a aussi des besoins à combler par les immigrants dans le marché du travail, dans les hôpitaux, en éducation. Finalement, l’immigration n’est pas la solution à la pénurie de main-d'œuvre. Je pense que des efforts de productivité, à encourager les gens à travailler plus longtemps, ce sont des efforts qui sont meilleurs que l’immigration. » (Une citation de Gilles Grenier, professeur au Département de sciences économiques de l’Université d’Ottawa.)
Pas d'effet sur le PIB par habitant
Le professeur explique que d’ajouter un nombre plus important de nouveaux arrivants dans l’économie fait grimper le PIB, mais n’a pas d’effet sur le PIB par habitant. Ça fait une économie plus grosse, dit Gilles Grenier, mais ça n’augmente pas le bien-être de la population. Le revenu par habitant ne sera pas plus élevé parce qu’il y a plus d’habitants.
Gilles Grenier ajoute : il y a plusieurs autres pays dans le monde qui sont petits, qui fonctionnent assez bien avec une population relativement petite. Donc, ce n’est pas un argument du point de vue économique.
La question du français demeure capitale dans le cas du Québec. Le premier ministre Legault a laissé entendre, à plusieurs reprises, qu’il souhaitait une immigration à 100 % francophone. C’est un objectif ambitieux, mais certainement difficile à atteindre. Et Carlos Leitao nous disait, en entrevue, qu’avec une telle politique, ses parents n’auraient jamais pu venir vivre au Québec… et il ne serait jamais devenu ministre des Finances!
Chose certaine, cet enjeu demeure sensible. Il est politique, social, mais aussi économique. S’il est exact de dire que d’ajouter des immigrants dans la société n’entraînera pas une hausse automatique du PIB par habitant, il est important de rappeler que la croissance économique passe notamment par la croissance de sa population. Le Québec a fait le choix de croître plus lentement que l’Ontario ou que l’ensemble du pays sur le plan démographique. Ça pourrait vouloir dire aussi que le Québec fait le choix d’une croissance économique plus lente.
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Photo: Radio-Canada / Ivanoh Demers