« Intégrez-vous ! » qu’ils disaient - Par Rushan Xhaferi

Nous, on a pris le long chemin de l’immigration. Ça n’a jamais été facile. Ça n’a jamais été simple. Ça a même été douloureux, parfois violent — dans sa propre chair autant que dans la relation avec ses parents, ses oncles et ses tantes. Ça a déchiré les lieux, les rues et les souvenirs d’enfance qui façonnent un être. Mais la décision fut prise, ferme, sans se retourner.

Comme Cortés brûlant ses navires après avoir accosté dans le Nouveau Monde, pour signifier qu’il ne reviendrait jamais en arrière, nous avons fait de cette terre la nôtre. Une fois les valises déposées à l’aéroport, nous savions que tout retour n’était plus une option. Par désir, par nécessité aussi.

Regarder La Petite Vie est devenu notre quotidien. Il a fallu la regarder en rattrapage. Il a fallu aussi rattraper quatre cents ans d’histoire - se sentir comme Cartier plantant sa croix à Percé, vivre ce moment de conquête sans oser réclamer aucune terre pour soi. Il a fallu chanter Mon arrière-arrière-grand-père et Mon arrière-arrière-grand-mère symboliquement, pour se sentir enfin partie prenante d’un récit collectif. Et puis, il a fallu ressentir cette énergie qui traverse tout le corps, celle d’un peuple qui, en 1976, découvrait ce que voulait dire la liberté, la fierté, et la possibilité de posséder un destin à soi.

Ensuite, il a fallu encaisser une déception en 1980, puis une autre en 1995. Il a fallu vivre avec la désillusion de perdre les Nordiques et les Expos, de passer d’un pôle important du continent à un carrefour de pistes cyclables sans cyclistes et de cônes orange sans "constructeux", comme dirait Rogatien. Heureusement, Yvon Deschamps fut là, avec son humour et son intelligence, pour redonner un peu de sens et d’espoir. Imité, mais jamais égalé, le maître savait parler et savait faire rire.

2025. Enfin, nous voilà intégrés. Nous voilà prêts à voter « OUI ». Nous voilà plus souches que toutes les bûches. Nous voilà enfin prêts… jusqu’à ce que la claque frappe Kim Thuy, la ramenant à sa place de boat people. Voilà la réalité qui te ramène sur terre, qui te rappelle tes origines, la fragilité de ton appartenance et la dureté des regards.

« Intégrez-vous », qu’ils disaient… Oui, mais pourquoi ? Et surtout, pour qui ?

Et toi, regard perdu vers le large, essaie de revoir la terre de tes ancêtres, les cimetières de tes aïeux. Écoute bien : cette terre te murmure que tu ne seras jamais vraiment un des leurs, mon gars.

Tu y as cru pourtant.

Tu y as vraiment cru.

© Rushan Xhaferi - Laval